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13 décembre 2012 4 13 /12 /décembre /2012 11:19

Il n’est pas encore 7h, en ce dimanche 2 décembre 2012 quand je me retrouve totalement désemparé face aux événements. Je suis au ravitaillement de Soucieu-en-Jarrest et cela fait déjà plusieurs dizaines de minutes que je cherche un sens à donner à ma course. Dois-je repartir ? Faire demi-tour ? Prendre la navette et rentrer à Lyon ? Toutes ces questions se succèdent une à une dans mon esprit qui, les heures passant, a nettement perdu de sa lucidité. Une chose est certaine, dans ces conditions, je ne veux pas continuer, c’est impossible, la tête ne veut plus, les jambes suivront. J’erre au milieu de participants marqués par la fatigue et le froid. Il reste alors plus de 20 kilomètres et la route sera très longue pour les regards perdus que je croise sans qu’ils ne me voient vraiment !

Tracé2012

Tout un programme...

 

Si la Sainté-Lyon est une fête, une nuit particulière, un moment à part dans la saison d’un coureur, elle demeure une épreuve difficile et exigeante qui demande autant de volonté que de force. Comment, dans ces conditions, continuer sans but alors que la neige commence à recouvrir les sols gelés ? La force est toujours là, je le sais, j’ai préparé cette course comme un objectif personnel alors que je savais, depuis longtemps, que je serais un équipier, un partenaire, une aide que j’espérais précieuse, pour mon ami néophyte des longues distances. Mais voilà que dans cette nouvelle portion du parcours, aussi jolie que difficile, tous mes espoirs semblent s’être envolés.

 

Jusqu’ici tout se déroulait parfaitement bien. L’interminable attente précèdent le départ avait été riche en stress (les boulets sans licence ou au dossier incomplet), en émotion (Patou qui rencontre une idole de sa jeunesse - pas Jean-Jacques, l’autre), en retrouvailles (Martial et Laurent, ça pourrait être surprenant de les retrouver là) et en rencontres (des champions qui visent une perf aux alentours des 6 heures) sans oublier l’incontournable pasta party.

 

LogoSTL

 

Le parcours, aux embuches semées par une météo capricieuse ces derniers jours, nous réservait son lot de surprises. Quand les chutes nous épargnaient – cinq à mon actif tout de même - le vent baissait la température de l’air tout en fouettant une neige, digne des stations alpines, contre nos visages rosis par le froid. Le sol, quant à lui, jouait les trouble-fêtes en alternant, de façon la plus irrégulière possible, les phases de glisse et de terrain plus ou moins stable. Un menu parfait, agrémenté d’une crampe prématurée pour Régis, qui ne nous détournera pas d’une arrivée à Sainte-Catherine - la mi-course psychologique – dans un chrono honorable de 3h37.

 

 Partir prudemment était la base de notre stratégie… Régis avait vu sa préparation chamboulée par une grosse baisse de forme après le marathon de Lyon. Nous avions alors privilégié le repos à un plan d’entraînement qui n’aurait pu être efficace avec de telles carences. Sur la ligne de départ, alors que les sas étaient bien trop étroits pour accueillir l’incroyable peloton lumineux que nous formions, les doutes tiraient la couverture aux certitudes.

 

Mais à l’heure du premier bilan intermédiaire, le plan de course établi au départ est plutôt respecté. Marcher dans les côtes, courir à l’économie et improviser quand le corps verra ses ressources se dissiper inexorablement. Sans s’enflammer sur un départ roulant mais exigeant, nous avons laissé derrière nous les valeureux concurrents qui luteront contre les barrières horaires, pour attaquer la première côte qui nous dépose à Sorbiers. La file de coureurs s’étire déjà sur plusieurs kilomètres. On ne sait pas trop où l’on en est parmi les solos, mais les sept minutes qui nous ont été nécessaires pour passer la ligne de départ nous donnent une indication sur la masse qui nous précède encore.

 

La température était relativement fraîche au départ (-3°C), mais le corps s’est maintenant réchauffé et les 3 couches sont presque de trop quand la neige commence à pointer le bout de son nez dans les bas-côtés et les jardins. Certains se découvrent, nous, nous n’y pensons même pas. Le rythme est cadencé par le groupe qui nous entoure. Les à-coups succèdent aux arrêts mais le rythme général demeure nettement inférieur à celui de 2010. Certains semblent déjà s’essouffler mais Régis, alors que nous croisons le panneau annonçant le dixième kilomètre, semble bien. Enfin c’est l’idée que je me fais de ce que je peux percevoir dans le noir.

 

Photo2STL

 

Ne pas se perdre dans cette densité de coureurs reste délicat et il n’est pas rare d’entendre un « Ca va Régis » qui fend la nuit entre Loire et Rhône. Dans cette première difficulté le rythme semble néanmoins convenir à un Régis concentré, qui ne me quitte pas, me doublant même parfois, profitant d’une trajectoire plus adaptée ou d’un passage plus fluide.

 

Le temps est sec mais un fort vent du nord se charge de nous apporter la neige promise sur les coups de 7h00. En attendant, le passage sur la crête entre les deux premiers ravitaillements sera un vrai supplice. Nous ne bénéficions d’aucun abri et le vent nous projette la neige sur le visage. C’est une réelle tempête qui s’abat sur nous, le froid perçant les couches de vêtements. J’ai beau bouger les doigts au maximum, mes mains, comme l’ensemble de mon côté droit, sont gelées. Nous en sommes au vingtième kilomètre et l’envie de mettre le clignotant est déjà là…

 

Les congères se dressent face à nous, nous obligeant à ralentir considérablement l’allure. Se frayer un chemin dans ces amas de neige peut alors s’avérer très compliqué et il n’est pas rare que les trajectoires empruntent champs et pâtures attenants. On ne court quasi plus. Le peloton se densifie à chaque ralentissement apportant une chaleur salvatrice avant que les bourrasques ne nous glacent le sang à chaque nouvelle accélération. Dès que le terrain le permet, Régis accélère et slalome parmi les concurrents pétris de froid. Je le suis, non sans mal, et non sans crainte qu’il se crame sur cette partie roulante mais rendu technique par la météo. Le long fil de lumière qui nous précède, nous informe des futures zones exposées ou abritées. Un coup d’œil en arrière… les frontales qui scintillent dans la nuit offrent un spectacle magnifique. Nous n’avons que peu de temps pour le contempler, il nous faut rejoindre, au plus vite, la descente de Saint Catherine et ses sous-bois. Cette dernière tant attendue sera, certes, abritée mais finalement glissante et piégeuse.

Le bref arrêt au ravitaillement suffit à me casser les jambes.

 

012

La Nuit est à nous 

 

La chaleur de la tente rend le temps de réadaptation lent et difficile. L’ascension suivante, grasse et glissante, est un vrai calvaire. Je ne parle plus, me concentre sur la course et tente de recouvrer mes sensation. Régis, quant à lui, semble avoir bien digéré les efforts précédents et sa crampe, survenue bien vite, ne semble être qu’un mauvais souvenir. Au sommet, je me fais violence et parviens à faire repartir la machine… Petit à petit, les sensations semblent revenir.

A chaque ravitaillement je rencontrerais toutes les peines du monde à me remettre en route. Le choc thermique certainement. A méditer sur la stratégie à adopter à l’avenir…

 

Régis parle de moins en moins mais progresse toujours avec une constance surprenante. Je sens qu’il gère son effort, qu’il respecte tous les conseils que j’ai tenté de lui transmettre lorsque nous patientions après le départ de Cindy et Patou, partis se chauffer les pattes sur la SaintExpress.

 

Si le tracé semble moins difficile, la seconde partie du parcours demeure éprouvante. La neige a, fait place nette et laisse les sentiers boueux et les plaques de verglas disparates nous voler la vedette. Patou en fera la difficile expérience. Il y laissera un genou dès le quatrième kilomètre. Pour nous, la prudence est de mise avec la fatigue qui s’installe peu à peu.

 

Se repérer dans la nuit est très compliqué. Parfois, un chemin, une ferme voire un panneau réveille quelques souvenirs mais là, le sentier que nous empruntons ne me dit rien du tout. Nous devons être sur l’une des nouvelles parties concoctées par l’organisation (2 kilomètres et 200m de D+ supplémentaires qui représentent – d’après un expert qui se reconnaîtra – 20mn d’effort à ajouter au temps de référence). Je double des pelotons entiers où règne un silence de cathédrale. La lutte contre la pente abrupte de la côte du bois de la Dâme est rude. Je me sens très bien et ma cadence est nettement supérieure à celle de mes compagnons de route. Depuis la descente du Bois d’Arfeuille, j’ai remarqué que Régis avait baissé le rythme dans les bosses. Je me décale sur le côté gauche pour l’attendre dans cette interminable montée. Les coureurs sont marqués, essoufflés et leur progression est difficile malgré un terrain relativement sec. Personne ne parle et, plus inquiétant, je ne vois pas Régis. Les groupes passent, cela fait quelques minutes que je me suis arrêté et la température de mon corps commence à baisser. J’appelle Régis, pas de réponse. Je prends le téléphone, messagerie… Ce n’est pas possible, je n’ai pas pu lui mettre 5 minutes en si peu de temps, je décide donc de reprendre la route, ou plutôt le chemin, le téléphone à la main, attendant qu’il me rappelle. Je parviens au sommet, court bien plus vite que le rythme moyen des autres concurrents, mais toujours pas de Régis. Je m’inquiète, il ne répond toujours pas au téléphone et je doute maintenant qu’il soit devant. Je rebrousse chemin jusqu’au sommet de la bosse, patiente, toujours rien. J’ai froid, j’ai peur et le ventre commence à faire des siennes. Je décide d’aller jusqu’au ravitaillement et d’aviser ensuite.

 

004

 Le Hall B, 2h avant le départ

 

La descente vers Soucieu est interminable, je cours vite, oublie quelque peu les règles de prudence qu’exigent les pièges d’une route parfois sèche, parfois humide et souvent gelée. Le seul  problème c’est que la lumière de la frontale ne suffit pas toujours à identifier la qualité du sol. Toutes mes pensées vont vers Régis. Où est-il ? Pourquoi est-il toujours sur messagerie ? A-t-il chuté et cassé son téléphone ? Fait un malaise et, imbécile que je suis, je n’ai pas indiqué mon numéro sur sa fiche de sécurité ? Ce n’est pas dans mon tempérament mais là, j’angoisse…

Dans l’aire de ravitaillement je le cherche, je l’appelle, en vain. Je croise des visages marqués par la douleur et les chutes, des zombies cherchant à se ravitailler, à remplir des poches à eau ou simplement trouver un endroit pour se poser. Moi, au milieu de tout cela, je suis en stress ! Dois-je repartir ? Faire demi-tour ? A quoi bon continuer sans objectif ? Mon téléphone vibre, je regarde… maman !! Dans la précipitation, je n’ai pas bloqué le téléphone et il a appelé ma mère que j’ai réveillée. Elle est en panique mais, m’entendre lui fait descendre le palpitant. J’appelle Laurent qui marche plutôt bien. Il en est au 54ème et, même si je comprends qu’il est dans le dur, je ne me fais plus aucun souci pour sa fin de course. Evidemment, je lui fais part de la perte de Régis mais, comme ma mère d’ailleurs, il ne pourra pas grand-chose pour moi. Et s’il était avec Cindy ? On peut l’avoir doublée dans la bosse, sans que je ne m’en aperçoive, et il est resté avec elle. Je l’appelle, elle répond, elle est déjà à Sainte-Foy… Bref, j’ai perdu Régis. Je dois lui avouer avoir perdu son homme, quand, enfin le double appel salvateur. P…. c’est lui !!! Vous expliquer mon soulagement est tout simplement impossible ! Il vient de quitter le ravito, suivant scrupuleusement notre plan de course qui consistait à ce qu’il ne s’occupe pas de moi. Il est reparti, non sans m’avoir cherché, perdant au passage une dizaine de minutes. Je ne pense pas que j’aurais pu finir la course si je ne l’avais pas retrouvé. Il reste alors 23 kilomètres et seul, dans le froid, sans but réel, je me serais certainement découragé.

Photo1STL

La neige ne me dérange pas, je cours à un bon rythme, rattrape des groupes, râle sur une allumée qui, ne respectant pas les signaleurs, vient à contre sens en voiture sans même ralentir à l’approche des pelotons. L’incivilité au service de la bêtise, tout un débat. Au sommet d’un faux plat dans lequel  j’avais vécu l’enfer 2 ans plutôt, j’aperçois Régis au loin.  Je suis heureux de le revoir, cela ne fait pas loin de deux heures que je l’ai perdu et je sais que, dorénavant, nous verrons le Palais des Sports ensemble, comme je l’ai voulu.

Le temps commence à peser, les ultimes kilomètres sont longs, mais Régis ne se plaint pas. On  marche très peu, je le motive car il est en train de faire un truc là ! Seuls quelques relais nous doublent, mais le nombre de dossards noirs que nous laissons derrière nous est impressionnant.

A Bonant, ultime ravitaillement, je jette un œil au chrono : les 10 heures sont à notre portée. Mon message est clair, il reste une bosse (une belle bosse) avant de débrancher le cerveau pour courir, courir et encore courir jusqu’à ce que le speaker nous accueille comme il a accueilli Manu Gault 4h30 plus tôt.

 

006La préparation... Ici Laurent !!  

 

On ne parle quasi plus dans la difficulté finale. Régis évoque une dernière bosse dans Ste Foy. Feignant ne pas voir de quoi il parle, je lui propose de recourir. « Au poteau » qu’il me répond. A partir de cet instant je me cale à un rythme de 10km/h que nous ne quitterons plus jusqu’à l’arrivée.  Je n’entends plus beaucoup de mots sortir de la bouche de mon ami, et je devine à quel point il est concentré sur sa foulée, son rythme et l’arrivée toute proche. En bas de Choulans, mes larmes montent sans que je ne puisse les contrôler. Ma mission ne sera accomplie que dans 4 kilomètres, mais je sais que nous touchons au but. Nous longeons la Saône – sur les traces du marathon de Lyon – avant de rattraper les berges du Rhône. Il fait jour, nous n’avons plus vraiment de repères, cela fait bien trop longtemps que nous avons quitté les Faubourgs Stéphanois. Nous n’avons qu’une seule obsession, l’arrivée, que nous apercevons, de l’autre côté du Rhône

 

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La Fine équipe au départ

 

Mais, peu avant le pont Pasteur, ô surprise, nous rattrapons Cindy qui conserve son sourire malgré des chaussures qui la font souffrir des pieds aux cervicales. Nous ne nous attardons pas, la fin est si proche. Un bisou à sa chérie, une montée d’escaliers et nous passons enfin le fleuve. Les faux-plats, le long des quais, se passent au mental et, contrairement à ceux qui nous entourent, en petite foulée. Enfin, pour Régis qui la réclamait depuis un moment, l’entrée dans le parc de Gerland. Un virage à gauche et la dernière ligne droite se dresse devant nous. Nous sommes traités en héros, les spectateurs, plus nombreux que sur la totalité du parcours, nous encouragent chaleureusement et c’est une véritable haie d’honneur qui nous accueille dans le Palais des Sports. 9h42, dont 8 passées avec Régis. Je n’ai pas l’impression qu’il soit allé au bout de lui-même. Il a parfaitement géré ses temps faibles comme, et c’est là le plus compliqué, ses temps forts. Il vient de passer un cap physique mais aussi psychologique. Il entre dans le monde de l’Ultra !

Merci à toi mon ami de m’avoir fait partager cette magnifique nuit. Définitivement,  je ne suis plus seul !!!

 

Une très grosse pensée à tous ceux qui ont partagé la fête avec nous.  Patou, routier aguerri, qui se  targue d’un mental friable et qui a bâché au 20ème kilomètre de la Saint Express après avoir fait 16 kilomètres sur une jambe. Laurent, qui découvrait cette course et la distance, finisher au mental en un peu plus de 9 heures. Martial, et sa coupe de cheveux mémorable, qui nous a fait passer un moment plus festif que sportif, si près de l’antre des verts et qui, fidèle à lui-même a terminé « facile ». Cindy, en souffrance physique, qui termine la SaintExpress pour la seconde fois. Kamel et Stéphane, nous n’avons pas le même niveau, mais nous faisons le même sport, leur état d’esprit nous le montre à chaque instant… Une pensée spéciale pour Greg, Jean-Guy, Jean-Jacques et Marc finisher de cette édition dantesque entre Sainté et Lyon…  

  011

Kamel, Martial, Moi & Régis... H-30mn 

 

Merci aux bénévoles, au public très chaleureux, à nos supporters qui nous ont suivi sur le net, en pleine nuit ou au réveil. Et enfin un énième merci à ma chérie qui, en plus de son soutien moral inébranlable, nous a apporté un soutien logistique indispensable sur cette course.

 

Affiche STL 2013

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commentaires

P
Merci pour ce repportage qui nous permet de suivre votre course pas à pas. Cela a permis à Jacques de revivre les ste- Lyon qu'il a fait quelques années au paravant.Jacques, Joëlle
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F
Hello,<br /> C'est toujours un bonheur que de lire tes témoignages. Bravo pour tout !!
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P
Merci Coach !!!<br /> Effectivement c'était une sacrée aventure, même s'il me reste de la marge pour progresser.
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